Itinéraire d’une dévergondée Chapitre 2

Inanna, vous transmet ce second chapitre d’une histoire qui se pimente au fil des mots…

N’oubliez pas de lire le premier chapitre d’Indécences – Itinéraire d’une dévergondée

 

Chapitre 2 : Retrouvailles

 

Une année s’était écoulée, une éternité…

Souvent j’avais médité à propos de cette rencontre avec l’homme dont le souvenir, comme figé dans le temps, harcelait continuellement mes pensées. Ma connaissance exclusivement livresque de l’anatomie masculine était encore succincte, mais suffisante pour connaître la signification de cette « bosse » furtivement perçue au bas de son abdomen. L’idée de me savoir à l’origine de cette marque de virilité m’émoustillait, bien plus qu’elle ne me contrariait. Des rêveries impures avaient régulièrement égrené mes nuits, me laissant moite de désirs inassouvis.

Une interminable année que ma conscience était tiraillée par un cruel dilemme : le désir de succomber à un attrait auquel je ne connaissais encore rien, et la barrière d’un interdit qui me commandait d’y résister et de m’en tenir éloignée. C’est avec ce jugement confus que j’abordais enfin ce nouvel été.

Pourtant, une fois sur place, les balades sur la grève devinrent de toute évidence l’unique raison de satisfaire mon principal objectif : revoir Philippe, tant je ne pouvais me soustraire à son ineffable attraction. Jusqu’à mon cher Granite qui me trouvait bien distraite lors de nos sorties en bord de mer. À combien de reprises avait-il dû se manifester bruyamment pour me signaler qu’il avait ramené son joujou à mes pieds ?

Un observateur attentif n’aurait certainement pas manqué de remarquer mon obstination à scruter cette haie qui, au demeurant, n’attirait l’attention que pour sa taille d’une rectitude irréprochable.

Depuis deux jours j’arpentais cette plage, les yeux rivés sur cet épais rideau de verdure. Deux longues journées que je bloquais ma respiration à chaque bruit venant de la direction de ce jardin, depuis l’aurore jusqu’au crépuscule, mais rien d’autre que le frémissement du vent dans la dense végétation qui me séparait de l’être tant attendu.

Peut-être était-il parti ailleurs ? Ailleurs… Et dire que l’an dernier je m’étais amusée à lui faire douter de ces possibles retrouvailles !

D’habitude si pleine d’entrain, je me sentais sans enthousiasme, désabusée, le jeu du bâton lancé à l’eau ne m’amusait plus, tout m’était devenu insignifiant. Amère, accablée par mes mornes réflexions, les yeux rougis par des larmes difficilement contenues, je décidai de rentrer et rappelai Granite pour lui fixer sa laisse.

— Bonjour mademoiselle !

Je sursautai en entendant une voix tonitruante juste dans mon dos. Malgré son ton inhabituel, j’en reconnus immédiatement le propriétaire. Ma surprise fut telle que je faillis en lâcher mon chien en me retournant vivement.

« Il » était là !

Devant mon air angoissé, il se campa devant moi et s’empressa de me calmer :

— Excuse-moi Justine, je ne voulais pas te faire peur. Il y a un moment que je te faisais des signes depuis l’autre bout de la plage, mais tu ne semblais pas m’avoir aperçu.

J’en restais muette de stupéfaction. Il était donc si proche, et je n’en avais rien deviné ? Comme je ne parvenais pas à articuler un seul mot, se méprenant sur l’origine de mon mutisme, il me demanda :

— Alors ma chère Justine, tu ne te souviens plus de moi ? Nous nous sommes rencontrés ici même l’an dernier, j’habite la propriété juste derrière cette haie !

Reprenant un semblant de lucidité, je m’efforçais de lui répondre en quittant cet air ahuri que je devais afficher :

— Oui, vous êtes Philippe…

— À la bonne heure ! Voilà qui est mieux. Mais il me semble que l’on avait convenu de se tutoyer ?

— Effectivement, c’est vrai…

Il se pencha vers Granite, resté bien sagement assis à mes pieds, et lui caressa le museau.

— Il a bien grandi ce chiot. Toujours autant amateur du « Va chercher ! » à ce que je constate ?

Sans parvenir à répliquer, je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire, la simple évocation de cette pratique restant étroitement associée à cette rencontre avec lui… et de tout ce qui en résulta.

— Tu t’apprêtais à partir ? Ou aurais-tu un peu de temps devant toi ?

— J’allais rentrer, je commence à avoir un peu froid, mentais-je, faisant montre de la plus parfaite malhonnêteté intellectuelle. Mais je peux encore rester un peu !

— C’est vrai qu’il y a un vent de noroît qui forcit. On sera bien mieux à l’intérieur pour discuter.

Lui portant une attention plus soutenue que l’année précédente, je me sentais toujours sous le magnétisme de son influence. Sans le moindre faux-fuyant, je lui emboîtais le pas, Granite trottinant docilement à mon côté. Après m’avoir conduite vers un chemin débouchant sur la plage, je le suivais tout aussi obéissante le long du léger détour qui permettait d’accéder à sa propriété par une rue adjacente. Au moment de franchir le portail blanc qui en marquait l’entrée, il me céda élégamment le passage, repoussa le lourd vantail derrière lui et me guida dans les circonvolutions des allées menant à sa résidence.

En traversant la terrasse, je ne pus éviter de ralentir ma démarche, jetant au passage un regard appuyé sur ces fauteuils qui semblaient exactement dans les mêmes positions que lorsque je m’y étais assise l’été précédent. Cette vision déclencha le souvenir de ce moment déjà lointain qui généra en moi une bouffée de chaleur accompagnée de picotements aussi étranges qu’agréables.

Lorsqu’il fit coulisser la porte-fenêtre donnant accès à son intérieur, nos regards se croisèrent dans le reflet de la vitre teintée. Remarquant ma position quasi prostrée, Philippe se retourna, me prit doucement par les épaules et, après m’avoir fait franchir le seuil de sa demeure, m’attira contre lui. Curieusement, je ne lui opposai aucune réaction. À l’inverse, j’eus la sensation de désirer fortement me retrouver dans cette troublante situation et n’éprouvais plus aucune nervosité à son contact.

D’un geste devenu presque familier, il me releva le menton d’un index assuré pour solliciter mon accord. En me pressant plus fortement contre lui, il me souleva du sol et nos visages se rapprochèrent. Cédant à son charme envoûtant, je perdis toute mesure à l’affleurement de sa joue contre la mienne. Abdiquant sous le chatouillis de sa bouche sur la peau fine de mon encolure, yeux clos, je m’abandonnais totalement à ses caresses, nos lèvres impatientes se rencontrèrent.

Notre fougueuse embrassade fut d’abord maladroite. Comme une danseuse inexpérimentée se laissant guider par un partenaire maîtrisant son art, je compris d’instinct la manière de partager son savoir-faire. Sans appréhension, je laissais sa langue agile mener le bal endiablé de nos folles sarabandes.

C’est le souffle court, toujours tendrement enlacée dans ses bras, que Philippe me remit en contact avec le sol. Avec une certaine réalité aussi : profitant de notre inattention, mon chien s’était échappé par la porte-fenêtre restée grande ouverte. Me sentant fautive, prise d’un début de panique, j’appelai :

— Granite ! Granite ! Viens là !

Nous sortîmes tous deux précipitamment, réitérant nos appels.

— Il n’a pas eu le temps d’aller bien loin, tenta de me rassurer le propriétaire des lieux. Il doit se cacher parmi les massifs.

Me rappelant le passage existant dans la haie, je m’empressais de parcourir l’allée en direction de la plage. C’est alors que j’entendis un grand éclat de rire :

— Ah, ah ! mais il est ici notre fugueur !

Revenant sur mes pas, j’eus la surprise de voir Philippe agenouillé devant l’un des fauteuils de la terrasse et caressant mon fier cabot qui s’y prélassait.

— En voilà un qui a déjà pris possession des lieux, dit mon hôte avec cet air malicieux qu’il arborait souvent en se tournant vers ma direction.

Je ne pus réprimer une expression rieuse, comprenant l’allusion à peine déguisée. Je trouvais cependant le moment bien choisi pour prétexter l’obligation de rentrer. Il comprenait de toute évidence que la peur provoquée par la disparition de Granite m’avait ramenée à la raison et qu’il était préférable de ne pas insister tant le sentiment de culpabilité qui s’était manifesté imposait la sagesse. Je vis malgré tout une once de désarroi dans son regard, lui qui venait de m’inviter à imiter mon adorable compagnon.

Au moment de fixer la cordelière de Granite, la main de Philippe se fit caressante et glissa le long de mon bras nu, remontant jusqu’à l’épaule. Nous nous relevâmes d’un seul geste, nos personnes se frôlèrent à nouveau. Cette fois, prenant garde à ne pas relâcher la bride de mon animal, je devançais son désir en l’étreignant par le cou d’une dextre prévenante. L’une de ses mains s’aventura au bas de mon dos, empoigna le galbe d’une fesse, plaquant mon ventre contre le sien.

Dans ce corps à corps éperdu, les sens exacerbés, je ne perdais rien du réveil de son anatomie. Un frisson encore inconnu parcourut ma colonne vertébrale jusqu’au cœur de mon intimité. Lascive, ivre d’émotions nouvelles, je succombai sans protestation à l’ardente embrassade de mon mentor. Comme deux amants devant se séparer pour une interminable période, notre dernière étreinte fut la plus longue et la plus intense.

Comme commandés par une minuterie interne, nos corps se séparèrent à regret. Prenant une vive inspiration, me tenant les joues aux creux de ses mains, il me demanda :

— Tu me promets de revenir me voir ?

Cette fois, je n’avais nulle envie de lui mentir sur la suite que je voulais donner à notre face-à-face. Ma réponse fut brève et sincère :

— Oui !

Rassuré par mon affirmation, aussi laconique soit-elle, je le vis se détendre et me sourire. Comme je prenais mon chien dans les bras pour éviter de le faire marcher sur les graviers, il agrippa ma main libre et m’entraîna vers une allée que je n’avais pas encore remarquée sur l’aile opposée.

— Je vais te montrer mon passage secret, murmura-t-il, comme si un observateur caché dans la végétation environnante aurait pu nous entendre. Ce sera plus discret que par l’entrée principale, avec toutes ces commères du quartier.

Il me dirigea vers une haie champêtre qui agrémentait tout un angle du jardin. Semblant naturelle au premier coup d’œil, elle était composée d’arbustes persistants savamment plantés en quinconce. La sortie était vraiment invisible, car, même placée devant, je ne compris sa véritable nature qu’une fois l’avoir réellement empruntée. Partant de la haie, une sente ondulait entre des buissons en descendant vers le rivage en pente douce. Me retournant, une fois sur la plage, je pus constater que l’issue était insoupçonnable.

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Inanna

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