Indécences – Itinéraire d’une dévergondée Chapitre 1

Tout aussi appliqués l’un que l’autre à ne rien laisser paraître de nos bouleversements respectifs, seulement trahis par la légère teinte rosée qui avait envahi nos joues, nous fûmes ensemble victimes d’une petite quinte de toux ; sortilège d’un insidieux courant d’air circulant sous la marquise ?
L’harmonie n’était pas rompue, mais une certaine gêne s’était installée. Je ne pouvais imaginer si ma gaucherie avait déclenchée une tempête sous le crâne de celui que je n’osais toujours pas appeler par son prénom, mais il était évident que mes pensées naviguaient en eaux troubles.
Face au désarroi dans lequel me plongeait le silence pesant qui venait de s’installer, tout autant que son envie de s’arracher à sa propre confusion, il prétexta le besoin d’aller remplir le carafon et de la nécessité de nous ravitailler en biscuits.
J’aurais désiré profiter de cet éloignement providentiel pour me lever et fuir cet endroit subitement devenu déplaisant, mais je ne parvins qu’à me redresser et c’est toute vacillante qu’il me retrouva finalement après sa trop courte absence. Comment avouer mon émoi ? Je ne pouvais encore reconnaître cette agitation que m’inspirait un inconnu !
Je tentais de retrouver une certaine contenance mais demeurais totalement muette par l’émotion. Lui aussi semblait emprunt à d’intenses sentiments, et sans oser croiser ma vue, il s’avança pour finir à genoux devant moi après avoir tendrement placé l’une de mes mains au creux des siennes. Je restais confuse, la tête baissée, n’osant affronter son regard, par peur de trahir ce sentiment de honte qu’il me fallait combattre.
Cherchant ses mots, il mit quelque temps avant de me signifier :

— Justine, je sais combien tu te sens embarrassée par cette troublante vision que tu m’as donnée à voir. Mais cela ne doit pas pour autant te troubler et, pour tout t’avouer, je n’ai vu dans cette situation qu’une charmante et adorable jeune fille, dans la candeur de sa jeunesse.

Libérant ma main, il souleva lentement et délicatement mon menton de son index pour trouver mes yeux de petit animal blessé. Je ne pus me soustraire à l’attention de celui qui me réconfortait, dissimulant très maladroitement ma gêne.
S’éclaircissant la voix, il poursuivit :

— Justine, je vais te faire une confidence… Il y a déjà quelques jours que je t’observe sur la plage en compagnie de ton chien. Je te trouvais tellement charmante, pleine de grâce et de naturelle, que j’ai cherché un prétexte – stupide, je m’en rends compte désormais – pour parvenir à te rencontrer.

À ce moment précis, comprenant soudainement la manière dont je m’étais fait berner, j’aurais voulu le gifler, lui taillader le visage de mes griffes effilées. Je me levais brusquement, mes jambes chancelantes ne purent le supporter. Il n’eut qu’à peine le temps de me saisir entre ses bras, livide, m’évitant de justesse de glisser au sol, et m’aida à m’étendre sur l’une des banquettes, toute étourdie. S’asseyant à mes côtés, il m’observait, anxieux, ne sachant quelle attitude adopter.
Voyant son air apitoyé, je rassemblais mes quelques forces pour le rassurer sur mon état. Tranquillisé, il effleura mon front du dos d’une main encore tremblante, puis caressa mes joues de la même manière. Honteuse de m’être laissée emporter par tant d’émotion et quelque peu vexée de me retrouver une nouvelle fois sa proie, je me risquais à lui adresser un sourire, auquel il répondit en me taquinant le menton :

— Hé ben, jeune fille, pourquoi se laisser aller à tant d’agitation ? J’espérais, avant votre rencontre, que vous apporteriez un peu de piment à mon existence d’ascète, mais là… vous vous êtes surpassée ! La vie ne doit pas manquer de sel à vos côtés !

Le vouvoiement semblant lui être redevenu le ton de circonstance, je ne parvins confusément qu’à bredouiller de vagues excuses.
Me remettant de mon ébranlement de jouvencelle, je me relevais. Craignant une nouvelle faiblesse de ma part, il anticipa mon geste, et je me retrouvais ainsi entourée par ses bras robustes, m’agrippant fermement à ses épaules. Notre enlacement fut bref, mais intensément chargé de sensations nouvelles pour moi : ma jeune poitrine écrasée contre son corps, le souffle de sa respiration sur mon cou, la fugace impression d’un inhabituel renflement à son bas-ventre… Troublée par ce mélange de déconcertantes perceptions, voulant en finir au plus vite avec ce sentiment de malaise qui s’était emparé de moi, j’osais lui affirmer, avec une fermeté de ton qui me surprit moi-même :

— Il faut que je rentre, sinon mes parents vont s’inquiéter !
— En effet, je pense que c’est souhaitable, répondit-il, renonçant à discuter ma sentence.

Comme je cherchais à récupérer mon inutile bagage resté sur l’un des fauteuils de la terrasse, il me demanda :

— Aurons-nous une chance de nous revoir ?
— Je ne pense pas, nous repartons après-demain.

Je réalisais en prononçant ces mots toute la cruauté qu’ils pouvaient représenter pour celui qui m’avait finalement avoué le désir de partager ma compagnie.

— Reviendrez-vous l’an prochain ?

Soulignant mon ignorance par un vague haussement d’épaules, je lui répondis d’une manière tout aussi évasive :

– Je ne sais pas, peut-être…

En réalité, je savais déjà que je n’aurai aucun mal à le retrouver lors de mes prochaines vacances estivales, si l’envie me prenait, mais j’éprouvais un malin plaisir à n’en rien dévoiler comme pour me venger de ce piège grotesque dans lequel je m’étais laissée entraîner, cette embuscade qui avait heurté ma fierté et qui réclamait vengeance.

— J’ai été très heureux de faire ta connaissance Justine… En tout cas, si tu souhaites me revoir, ma porte te reste largement ouverte…

C’est sur cette espérance, pas nécessairement pleinement partagée, que prit fin notre premier rendez-vous.
Sur le chemin du retour, bien que soulagée de m’être ainsi éclipsée, je ne parvenais pas à oublier tous ces instants troublants que je venais de vivre pour la première fois.

Je sentais au plus profond de moi que le jeu de la séduction qui avait amené Philippe à me rencontrer, était bien plus puissant que ce que je voulais bien reconnaître. J’avais goûté au plaisir de voir cet homme me désirer, me courtiser, et je pris incontestablement conscience d’un indicible désir…

Inanna

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