Indécences – Itinéraire d’une dévergondée Chapitre 1

Le lendemain, comme l’heure fatidique approchait, je prétextai l’envie de prendre un bain de soleil sur la côte comme j’en avais assez l’habitude. Revêtue d’une tenue de saison : une courte tunique de plage sous laquelle je ne portais qu’un simple maillot deux-pièces, avec pour unique bagage un cabas contenant serviette de bain et ambre solaire, en apparence légère et désinvolte, je pris seule la direction de mon rendez-vous « imposé ».
Nos demeures n’étant distantes que de quelques hectomètres, il me fallut peu de temps pour atteindre le domicile du quidam. Face au portail d’entrée, je ne pus étouffer un soupir alors que j’actionnais la sonnette placée sur l’un des portants. Aucun bruit ne me parvint, il s’écoula un moment sans que je ne relève un signe d’activité venant de la propriété. Presque soulagée de devoir renoncer, sans en être fautive, je m’apprêtais à partir quand je perçus un bruit de pas sur le gravillon d’une allée.

— Bonjour mademoiselle, déclara mon mystérieux samaritain de la veille en émergeant soudainement dans l’encadrement du portillon. Excusez-moi de vous avoir fait attendre, j’ai quelque peu tardé, j’étais au téléphone. Vous étiez sur le point de vous sauver ?

Me contentant de bouger la tête dans un geste de dénégation, je perçus qu’il ne se laissait nullement abuser par ma duperie. L’homme, à la stature qui me parut déjà bien moins imposante que la veille, m’ouvrit plus largement l’accès et me pria très courtoisement de le suivre en rajoutant :

— Je pense avoir manqué à mon plus simple devoir hier… mais il faut avouer que notre rencontre fut de courte durée. Permettez-moi de me présenter : Philippe, ancien officier de marine, aujourd’hui à la retraite.

Tout en songeant que notre entrevue de la veille ne m’avait pas paru si brève, je lui déclinais à mon tour mon seul prénom : Justine.

Au détour d’une allée sillonnant entre les plantes luxuriantes, un attrayant pavillon se découvrit à ma vue, comme par enchantement. L’habitation, de plain-pied, donnait une impression d’extrême simplicité, et se trouvait tout aussi remarquablement entretenue que les abords. Une terrasse de dallage clair accueillait le visiteur, en partie recouverte par une avancée du toit sous laquelle un salon de jardin cossu, aux banquettes ensevelis sous de moelleux coussins, ajoutait un air encore plus hospitalier à l’ensemble.
Se montrant très affable, me désignant l’un des sièges d’un bras tendu, il me dit :

— Je vous en prie, prenez place chère Justine. Désirez-vous un thé ? Un café ? Un soda ?

Peu habituée à me sustenter à cette heure, j’optais pour le jus de fruit et pris place sur l’un des profonds fauteuils, n’osant m’asseoir que du bout des fesses pour garder une position droite. S’engouffrant dans la demeure par une porte-fenêtre largement ouverte sur la terrasse, l’homme réapparut très vite avec un plateau portant un carafon rempli d’orangeade, deux gobelets et quelques biscuits encore recouverts d’un blistère. Avec des gestes bien assurés il versa la boisson, délivra les gâteaux de leur emballage et les étala à même la table.

— Comme vous le constatez, dit-il en désignant le tout d’un large geste de la main, je ne suis guère habitué à recevoir, mon métier de militaire m’a toujours tenu à l’écart des normes sociales du monde civil !

Après quelques secondes d’un silence pesant, il poursuivit :

— D’ailleurs, je tiens à m’excuser pour hier, je me suis comporté comme un véritable goujat. Mais ce petit coin de plage est parfois plein de traîtrises.

Ne sachant comment engager la conversation, n’ayant aucunement l’envie de revenir sur l’événement de la veille, je tentais au moins de m’intéresser à sa situation.

— Vous êtes en retraite, si j’ai bien compris ?
— Pouvons-nous nous tutoyer ?

Déstabilisée par la question abrupte, j’acquiesçais cependant d’un signe de tête approbateur, en portant le verre de soda frais à mes lèvres.
Le front soudain barré de plis, comme sous le coup d’une profonde réflexion, il poursuivit :

— Hé oui, la roue tourne ! Vous… Tu as la chance d’être encore jeune Justine, profites-en bien !

J’avoue que le retour à la vie civile a été difficile, mais je m’y suis fait.
Après un silence, il lâcha dans un soupir :

— Plus de soixante-et-une berges… j’ai passé ma vie à courir toutes les mers du monde, et aujourd’hui l’ancien marin se terre sur ce petit bout de terrain… dont je ne suis pas peu fier, au demeurant.

Mon ex-inconnu avait donc atteint la soixantaine, j’en fus admirablement étonnée, tant il paraissait dans une forme resplendissante. Je me souviens de cette confuse émotion que cela avait fait naître en moi : je m’étais alors imaginée qu’il devait cette apparente vitalité à la pratique régulière d’un sport… et que cette ardeur ne devait pas être un handicap pour plaire à ses éventuelles conquêtes.
Je n’avais encore jamais ressenti un tel chamboulement et le désir que m’inspirait ce confident inattendu n’était pas étranger à la perte d’attention dans laquelle mes pensées m’avaient plongée. Je fus surprise de l’entendre me demander :

— À propos, comment trouves-tu mon jardin ?

Je tentais de revenir à la réalité de la situation et, omettant le tutoiement, répondis presque machinalement :

— Vous vous en occupez vous-même ?
— Je n’ai pas ce que l’on appelle la main verte mais, avec le temps, j’ai appris. Je conviens qu’au début je trouvais ça fastidieux, mais je me suis découvert une vraie passion. Tu as vu cette allée de charmes ?… Et ces cornus ?… À l’automne ils se parent de rouge, sublime !… J’ai également planté certaines variétés exotiques rapportées lors de mes différents voyages et, pour la plupart, le doux climat du sud Bretagne semble leur convenir.
— C’est vrai qu’il est magnifique ce jardin. J’ai eu l’impression de traverser un parc hier. Ça doit vous demander du temps. De la rue, on ne s’imagine pas qu’il se cache un petit coin de paradis ici.

Mon avis était sincère, il en fut visiblement agréablement touché. Un large sourire fendait son visage aux traits à présent détendus.

— Assez parlé de moi, que fais-tu dans l’existence ma chère Justine ?

Je lui racontais un peu ma vie, ma scolarité, tous ces « petits riens » qui égrènent nos existences. Il m’écoutait avec attention, parlant peu, se contentant de me faire préciser certains aspects qui lui tenaient apparemment plus à cœur, ceux qui avaient trait à ma vie sentimentale notamment. Puis, de simple papotage, nos échanges prirent la direction d’épanchements plus intimes.
Sirotant nos orangeades, croquant de temps en temps un biscuit, nous étions tellement captivés par nos effusions communes que le temps passa sans que nous nous en rendîmes compte. L’agitation estivale qui ne devait pas manquer alentour ne nous parvenait pas, filtrée par l’épais rideau de verdure qui nous en isolait. Mon aversion initiale s’était totalement envolée, je commençais même à lui trouver un certain charme…
Me laissant aller aux confidences, je m’étais tout aussi naturellement relâchée sur ma posture. Je ne m’aperçus pas tout de suite que ma position avachie au creux de ce fauteuil trop accueillant lui offrait un nouvel attrait pour ma personne. Ma courte tunique remontée plus haut qu’à mi-cuisses laissait deviner d’autres rivages qu’il semblait désireux d’accoster. Cherchant à retrouver un peu de contenance, je croisais bien maladroitement les jambes, exposant au passage bien plus que ne l’exige la bienséance.

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Inanna

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