Indécences – Itinéraire d’une dévergondée Chapitre 1

Inanna, vous transmet ce premier chapitre d’une histoire qui risque fort de se pimenter…

 

Bois flotté

Une très belle journée, vouée à l’indolence, s’achevait en cette période estivale sur la côte bretonne. La fin des vacances était proche, l’envie de profiter encore plus longuement de ces derniers instants de liberté n’en était que plus forte.
Alors que les ombres s’allongeaient sous le rougeoiement d’un soleil couchant, Granite, mon jeune barbet tout nouvellement offert pour mes quinze ans, fixait avec insistance sa laisse accrochée au vestiaire d’entrée. Devant mon indifférence, qui n’était que feinte, il exhala son impatience avec de plus en plus d’insistance, et se mit à glapir pour attirer mon attention. M’étant amusée de ce petit divertissement familier, ne tenant pas plus que lui à manquer cette ultime balade quotidienne, je lui fixais enfin ce cordon salvateur synonyme de défoulement au bord de l’océan.
Je pris donc la direction d’une petite anse toute proche qui offrait l’avantage de n’être fréquentée que par les riverains et quelques très rares promeneurs. Ce petit bout de plage, encadré de deux pointes rocheuses contournables uniquement à marées basses, n’était autrement accessible que par un sentier mal entretenu et peu attirant. Parvenue sur son lieu de trotte préféré, je libérai mon animal de son attache, sachant qu’il ne s’éloignait jamais loin et revenait facilement au signal, bien qu’il ne fût encore qu’un chiot.
La marée était très haute ce soir-là et ne nous laissait qu’un fin cordon de sable sur le rivage déchiqueté pour partager ce moment de complicité à la douceur du soir. Granite me ramena un bout de bois flotté, son jeu favori étant que je le jette – de préférence à l’eau ! – pour me le rapporter fièrement au travers de sa gueule.
En lançant une énième fois ce projectile improvisé vers le large, alors que le vent forcissait, sa trajectoire s’en trouva rallongée plus que ne l’aurait permis ma seule force. Il en faut plus pour dissuader mon vaillant petit compagnon à quatre pattes qui, n’écoutant que son instinct, se jeta à l’eau avec sa fougue de jeune « chien fou ».
En le voyant regagner la terre ferme, je constatai qu’il dérivait un peu en raison du ressac et aborderait de l’autre côté d’une épine rocailleuse s’avançant dans l’océan. Je l’observai avec attention, prête à réagir à la moindre nécessité mais, se montrant déjà habile nageur, je ne m’inquiétai pas outre mesure sur sa capacité à se sortir seul de cette situation. Arrivé sur le sable, il s’ébroua et me porta un regard étonné, semblant se demander pourquoi je traînais autant à sa suite.
L’obstacle impromptu n’avait que quelques dizaines de centimètres de hauteur sur sa partie la plus basse, mais il était suffisamment dentelé pour gêner le passage d’un petit animal. Ne sachant pas s’il y avait un accès au littoral sur l’autre bord, je voulus le récupérer pour lui éviter la tentation de se risquer sur ces entrelacs de roches. Uniquement chaussée d’espadrilles, j’eus quelque peine à franchir le récif rendu glissant par les mousses et les algues. Alors que je le rejoignais, il marqua l’arrêt, ayant visiblement levé la piste d’un gibier.

— Alors, jeune fille, on a un problème avec son chien ? me fit une voix forte, sur un ton un brin railleur qui me déplut sur le moment et dont je ne parvenais pas à comprendre d’où elle émanait.
— Ce n’est pas prudent de rester là quand la mer monte, vous risquez de vous faire piéger par le sillon, rajouta la voix.

Je devinai alors ce qui devait être le haut d’une tête et deux bras gesticulant au-dessus d’une haie épaisse sur un terrain surplombant la plage. L’homme, car il s’agissait de toute évidence d’un homme, se doutant que je ne l’avais pas repéré, tentait manifestement de me signaler sa présence en jouant le sémaphore pendant que je récupérais mon chiot dans les bras.

— Excusez-moi monsieur, je ne savais pas que l’endroit pouvait être dangereux, criai-je, en me reculant pour tenter d’apercevoir l’individu qui m’interpellait avec vivacité.
— Avancez un peu, il y a une trouée plus loin, vous pourrez rejoindre la route par mon jardin, m’ordonna la silhouette dont je perçus le déplacement en clair-obscur au travers d’une portion moins touffue du front végétal.

J’obtempérais sans rechigner, et vis apparaître mon duettiste dans une échancrure de la haie à l’endroit où une palissade de bois la prolongeait à l’équerre. Un homme, à la courte chevelure blanche et drue, me faisait face.

— Bonjour, excusez-moi encore de vous importuner, c’est très gentil de vous préoccuper de ma sécurité, insistai-je en tentant d’escalader plus que maladroitement la faible déclivité entre les deux terrains.

Me tendant une main secourable, d’une poigne ferme il m’aida à franchir l’infime obstacle. Je pus enfin contempler mon interlocuteur, que j’estimais quinquagénaire. Svelte et de haute stature, il dégageait une autorité naturelle. Se montrant affable, il me guida au travers d’un luxuriant jardin où poussaient, sans ordre apparent, des plantes qui m’étaient pour la plupart inconnues.

— Êtes-vous de la région mademoiselle ? me demanda-t-il sur un ton toujours aussi énergique.
— Non, seulement en vacances, mes parents possèdent leur résidence d’été tout près d’ici.
— Il ne me semble pas vous avoir déjà vue, vous êtes une habituée des lieux ? Enfin, je veux dire, vous venez régulièrement dans ce coin reculé ?
— Euh… pour être franche, c’est seulement mon deuxième été en Bretagne, et… euh… avant je restais avec ma grand-mère dans le Sud, répondis-je, tentant de me justifier maladroitement à ce que je ressentais comme un début d’interrogatoire.

Notre trajet nous ayant amenés naturellement au-devant d’un monumental portail, il me plut d’imaginer être arrivée au terme de la traversée de ce qui m’apparaissait plus un parc qu’un simple jardin. Le remerciant une nouvelle fois de m’avoir tirée de ce mauvais pas, je m’apprêtais à prendre congé lorsqu’il me renouvela ses conseils de prudence. Ému par mon embarras, il le fit sur un ton adouci qui me surprit :

— Il faudra faire plus attention à l’avenir, les marées hautes peuvent parfois être piégeuses sur cette zone. Il n’est d’ailleurs pas rare que j’aperçoive quelques étourdis sur la grève au moment du flux. Il serait plus sage de consulter l’horaire des marées avant de vous risquer sur la plage.

Puis, après un court silence, il devint plus doux :

— Allez, je vous ai suffisamment houspillée, n’en parlons plus ! reprit-il. Sinon vous allez me prendre pour un vieux pisse-vinaigre !

Il est vrai que c’est à peu près le résultat auquel étaient parvenues mes pensées après toutes ces tirades moralisatrices qui me paraissaient loin d’être justifiées. Il ne m’avait nullement semblé que cette plage puisse représenter un quelconque danger, d’ailleurs aucun panneau ne le signalait.
Devina-t-il mon scepticisme, ou était-ce simplement une façon d’atténuer sa peu élogieuse mélopée à mon égard ? Avec un sourire désarmant, il me déclara sur un ton devenu enjôleur :

— Vous êtes charmante mademoiselle. Après ce malencontreux contretemps, accepteriez-vous de prolonger cette rencontre en prenant un petit remontant en ma compagnie ?

Je n’y tenais nullement ! Je déclinais poliment l’invitation, prétextant ne pas pouvoir prolonger ma sortie à la nuit tombante. En revanche, je ne pus – ou n’osais ? – refuser la sollicitation qui suivit :

— Au moins, m’accorderiez-vous le privilège de partager votre compagnie ne serait-ce qu’un instant ? Demain par exemple, disons seize heures ? De plus, je voudrais tant me faire pardonner ma rudesse.

Par pure courtoisie, vraiment sans plaisir, j’acceptais la pressante invite. Avec obligeance, il m’ouvrit une porte à échelle humaine intégrée dans l’un des vantaux de l’imposant portail, me délivrant de son incommodante compagnie, mais nullement de l’étrange agitation qui me submergeait.
Mon petit chien toujours pelotonné dans mes bras, je m’empressais de rejoindre le doux refuge de mon « chez moi ». Le corps chaud de Granite me rassurait, adoucissant la pensée de devoir retrouver cet individu dont je ne connaissais même pas le prénom. Chemin faisant, je ne pus m’empêcher de fulminer intérieurement : tout ça pour un petit bout de bois lancé trop loin…
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Inanna

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